lundi 28 février 2011

Zelenka


Dans son livre au titre mystérieux et un peu rébarbatif HHhH (Himmlers Hirn heisst Heydrich= Le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich), Laurent Binet relate l'attentat à Prague, en mai 1942, contre  Heydrich,  le protecteur-adjoint de Bohême-Moravie, le bras droit de Himmler, l'un des "inventeurs" zélés de la solution finale et surnommé le "boucher de Prague".

Cet auteur présente son livre en un peu plus de 250 petits chapitres qui mêlent d'une façon inattendue et intelligente narration historique, digressions sur l'Histoire ou sur les histoires personnelles du narrateur, et interrogations sur la vérité historique.

Ces interrogations portent plus précisément sur la difficulté à relater tout épisode historique dans le cadre d'une fiction romanesque : comment ne pas dévier de l'exactitude historique, en prêtant aux personnes ayant existé des paroles, des pensées, des attitudes dont personne ne peut attester la vérité? Comment ces personnes deviennent-elles à l'insu même de l'écrivain, des personnages, sources de doutes historiques ou à tout le moins de controverses? Comment accepter de laisser tomber hors du roman des personnes qui se sont distingués par des actes admirables  mais qui ne peuvent figurer dans la fiction car elles encombreraient une trame déjà trop prolifique ?

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    C'est un combat perdu d'avance. je ne peux pas raconter cette histoire telle qu'elle devrait l'être. Tout ce fatras de personnages, d'événements, de dates; et l'arborescence infinie des liens de cause à effet, et ces gens, ces vrais gens qui ont vraiment existé, avec leur vie, leurs actes et leurs pensées dont je frôle un pan infime... Je me cogne sans cesse contre ce mur de l'Histoire sur lequel grimpe et s'étend sans jamais s'arrêter, toujours plus haut et plus dur le lierre décourageant de la causalité.
     Je regarde une carte de Prague sur laquelle sont pointés tous les appartements des familles qui ont hébergé les parachutistes, engagement qu'elles ont presque toutes payé de leur vie. Hommes, femmes et enfants naturellement. La famille Svatoš, à deux pas du pont Charles; la famille Ogoun, près du Château; les familles Novák, Moravec, Zelenka, Fafek, situées plus à l'est. Chaque membre de chacune des ces familles mériterait son propre livre, le récit de son engagement dans la Résistance jusqu'à Mathausen et son tragique dénouement. Combien de héros oubliés dorment dans le grand cimetière de l'Histoire... Des milliers, des millions  de Fafek et Moravec, de Novák et de Zelenka.
    

Binet, parfois conscient de "romancer" cet épisode historique auquel il est si attaché - parce que son père lui en a beaucoup parlé, qu'il a fait à Bratislava son service militaire- interrompt le récit, interroge le mot qu'il a prêté à l'un des acteurs de l'Histoire . De quel droit lui fait-il dire ceci ou cela? Personne ne l'a confirmé et le prétexte de l'imprégnation de la documentation historique ne saurait excuser  des approximations pour celui qui traque la vérité historique. Pourtant,cet écrivain, un tantinet "psycho-rigide" sur la vérité historique, finit par admettre le pouvoir de cette tromperie que constitue le roman. Il offre de grandes possibilités et le fait de souligner les limites ou les déviations possibles de ce genre littéraire ne le rend pas moins efficace. Il fixe plus que tout autre écrit une vision tangible et palpable pour chaque lecteur. C'est ce qu'il note lui-même à propos de la lecture du livre de David Chacko Like a man, du nom de cette mission Anthropoïde qui devait tuer Heydrich, commanditée par le gouvernement tchèque en exil  à  Londres.
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Mais l'auteur assume parfaitement la dimension psychologique de son roman , bourré de monologues intérieurs, et donc en décrochage avec une exactitude historique à laquelle inversement il ne prétend pas puisque le livre s'ouvre sur la formule "toute ressemblance avec des faits etc. ne serait que pure coïncidence". Chacko a donc voulu faire avant tout un roman, certes très bien documenté, mais sans être esclave de sa documentation. S'appuyer sur une histoire vraie, en exploiter au maximum les éléments romanesques, mais inventer allègrement quand cela peut servir la narration sans avoir de comptes à rendre à l'Histoire. Un tricheur habile. Un prestidigitateur. Un romancier, quoi.  
Tout en dévoilant les difficultés de l'écriture romanesque et le conflit  qu'elle provoque avec l'Histoire, ce roman  prend de la force: le lecteur découvre des anonymes, les Svatoš, Novák et Zelenka, et a le coeur qui bat tout autant que le Tchèque Gabčík quand sa mitraillette s'enraye devant la voiture de Heydrich. On vit tous les préparatifs de cet attentat, on mesure les embûches, les hasards heureux et malheureux.  Mieux ! Tout cela n'est pas inventé, c'est du vrai!  La vie palpite, la fiction  abolit le temps et l'espace. Certes,  fiction et vérité rivalisent mais si l'on sait que la fiction dépasse parfois la réalité, elle est ici placée à sa juste mesure.

C'est donc un livre étonnant, avec du souffle et qui sans vouloir refaire le genre romanesque, l'explore et lui donne une nouvelle jeunesse.

dimanche 27 février 2011

Énigme Réponses des incipit

Stéphanie a trouvé toutes les réponses, Flocon 8 réponses et Catherine 7 réponses. Un grand bravo à vous trois, parce que ce n'était vraiment pas facile!

Viennent ensuite Pierre et Yves qui ont résolu quelques-unes de ces énigmes, Calyste qui m'a dit en avoir trouvé deux ou trois, mais qui a oublié de me les communiquer. Merci de votre participation à toutes et tous!

RÉPONSES

1.  Manifeste du Parti communiste, Marx/Engels, 1848
Un spectre hante l'Europe : le spectre du communisme. (Un épouvantail  obsède le vieux continent: l'épouvantail de l'égalitarisme.)
 
2.  La Chartreuse de Parme, Stendhal, 1839
Le 15 mai 1796,le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée française qui venait de passer le pont de Lodi et d'apprendre au monde qu'après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur. (Le 15 mai 1796, le hussard  Repabaton  sortit de  chez Malin à la suite  de ces vieux déserteurs qui finissaient de  reculer devant le fleuve de Doli, et de cacher au monde qu'après tant de jours Racès et Exandaler étaient sans successeur.)
 
3.  Voyage au bout de la nuit, Céline,1932
Ça a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. (Ça a fini comme ça. Lui, il avait tout balancé. Tout.)

4.  Essais, Montaigne, 1572-1592
C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit, dès l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. (C'est là un opuscule sincère, lecteur. Il te prévient dès le début que je ne m'y suis fixé aucun dessein que familial et intime.)

5.  Salammbô, Flaubert, 1862
C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar. (Ça se passait à Magera, banlieue de Grathace , dans les jardins de Mahilcar.)

6.  Bonjour Tristesse, Sagan, 1954
Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. (Sous ce sentiment connu dont l'amusement, la violence me rassérènent, j'ose apposer le  nom, le vilain nom léger de joie.)

7.  Le contrat social, Rousseau, 1762
L'homme est né libre et partout il est dans les fers. (Le gnome est né ivre et partout il  est dans les verres.)

8.  La Modification, Butor,1957
Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droitre vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant. (Vous avez mis la main droite  sur la rainure d'aluminium et de votre cuisse gauche vous essayez de tirer un peu le vantail à coulisse.)
 
9.  Les aventures d'Alice au pays des merveilles, L. Caroll, 1865, trad. Henri Parisot
Assise à côté de sa soeur sur le talus, Alice commençait à être fatiguée de n'avoir rien à faire. Une fois ou deux elle avait jeté un coup d'oeil sur le livre que lisait sa soeur ; mais il n'y avait dans ce livre ni images ni dialogues : « Et, pensait Alice, à quoi peut bien servir un livre sans images ni dialogues ? »  (Debout près de son frère sur le talus, Celia finissait par être excitée d'avoir tout à faire. Deux ou trois fois, elle avait ouvert grand les yeux sur la console que tenait son frère: mais il n'y avait sur cette console ni images ni sons: "Et, réfléchissait Celia, à quoi peut bien servir une console dans images ni sons?")
 
10. Don Quichotte, Cervantès,  1605, trad. Aline Schulman
Dans un village de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait il n’y a pas longtemps un de ces gentilshommes avec lance au râtelier, bouclier de cuir à l’ancienne, levrette pour la chasse et rosse efflanquée. (Dans un bourg de la Poche, dont je  veux me rappeler le nom mais c'est en vain !, vivait - ça fait pas si longtemps que ça- , un de ces gentlemen avec sagaie  au rack , bouclier antique, haridelle efflanquée et levrette pour la chasse.)


ICI, de très nombreux incipit

samedi 19 février 2011

Énigme

Folon
Je vous propose dix  incipit de romans ou ouvrages philosophiques célèbres.Mais pour lutter contre Monsieur-je-sais-tout, j'ai  dû  les "bidouiller" un peu, en utilisant la synonymie et/ou l'antonymie. Quand des personnages étaient cités dans ces incipit, je les ai présentés sous forme d'anagramme ou de paronyme (mot à consonance voisine). Pour les dates, je n'ai rien changé.

Exemple: "Jamais, je ne me suis levé tard" ou "Sans cesse, j'ai quitté mon lit tôt".
Vous aurez  reconnu l'incipit de Du côté de chez Swann "Longtemps, je me suis couché de bonne heure".

J'ai essayé dans la mesure du possible, de garder l'ordre syntaxique de la phrase.


1. Un épouvantail  obsède le vieux continent: l'épouvantail de l'égalitarisme.



2. Le 15 mai 1796, le hussard  Repabaton  sortit de  chez Malin à la suite  de ces vieux déserteurs qui finissaient de  reculer devant le fleuve de Doli, et de cacher au monde qu'après tant de jours Racès et Exandaler étaient sans successeur..


3. Ça a fini comme ça. Lui, il avait tout balancé. Tout.


4. C'est là un opuscule sincère, lecteur. Il te prévient dès le début que je ne m'y suis fixé aucun dessein que familial et intime.


5.Ça se passait à Magera, banlieue de Grathace , dans les jardins de Mahilcar.


6. Sous ce sentiment connu dont l'amusement, la violence me rassérènent, j'ose apposer le  nom, le vilain nom léger de joie.



7.  Le gnome est né ivre et partout il  est dans les verres.        


8. Vous avez mis la main droite  sur la rainure d'aluminium et de votre cuisse gauche vous essayez de tirer un peu le vantail à coulisse.


9.  Debout près de son frère sur le talus, Celia finissait par être excitée d'avoir tout à faire. Deux ou trois fois, elle avait ouvert grand les yeux sur la console que tenait son frère: mais il n'y avait sur cette console ni images ni sons: "Et, réfléchissait Celia, à quoi peut bien servir une console dans images ni sons?"


10. Dans un bourg de la Poche, dont je  veux me rappeler le nom mais c'est en vain !, vivait - ça fait pas si longtemps que ça- , un de ces gentlemen avec sagaie  au rack , bouclier antique, haridelle efflanquée     
et levrette pour la chasse.


Vous avez une semaine, jusqu'au samedi 26 février pour envoyer vos réponses par mail à xtinemer@gmail.com, ou si vous voulez jouer ensemble,  rien ne vous empêche de le faire directement dans l'espace réservé aux  commentaires ... j'ai conscience que ce n'est pas facile mais en trouvant les synonymes ou les antonymes, et en vous aidant de Monsieur l'Encyclopédie, vous devriez trouver.

D'ici là, amusez-vous bien! Je laisse le blog ouvert et vous confie les clés. Je n'aurai pas de liaison internet pour vous répondre ou vous commenter là où je pars.

Bonne semaine à vous !
Valete,
Xtine

vendredi 18 février 2011

Zut, on a encore oublié Madame Freud...

 "Comprends-moi, Sigi, je n'ai jamais été violée par un vieux directeur de collège, elle rit, et je n'ai même jamais été pensionnaire, tu connais ma mère ! J'appelle ça mes phantasmes et comme ça je vis très très bien, mais quand j'essaie de les chasser, c'est à proprement parler infernal, alors je les accepte, je les dorlote, les cultive ! Elles, tes clientes, éducation ? religion ? conformisme ? je ne sais, les refusent et tout s'abîme alors en elles.
- Tes phan.... quoi ?
- Mes phantasmes, mein liebe lapin.
  Barbe en avant, debout, il écume Sigmund Freud, déchiré de jalousie, décidé à ne plus jamais la toucher -"elle me trompe dans mes bras"- et exulte dans le même temps ! La terre s'ouvre, tout ce qu'il apercevait, tout ce à quoi il était incapable de donner un nom mais qui était là, étouffant ses malades, Martha, sa petite bourgeoise, sa gentille, sa douce , sa parfaite, son économe a trouvé. Martha Freud, née Bernays, son épouse, la mère de ses cinq enfants et bientôt six, depuis son enfance joue avec cet imaginaire et y trouve un merveilleux équilibre de vie ! Pas de vapeurs, pas de crise, pas de paralysie, pas d'hystérie chez Martha! Ordonnée, précise comme toujours, elle a même trouvé le mot: phantasme.
... Il court, le docteur Freud, court dans son bureau et écrit, écrit. Ce soir, elle lui a donné la Clé!"

                   Zut, on a encore oublié Madame Freud, Françoise Xenakis, Lattès,  1985


mercredi 16 février 2011

Zorba

A Anijo...

Les associations d'idées sont parfois fructueuses. Dans son dernier commentaire, Anijo envoie la bande son d'une chanson de Joe Dassin. Je pense immédiatement que ce chanteur est le fils de Jules Dassin. Une note sur Jules César, et in fine le fils de Jules Dassin. Ça m'amuse beaucoup ces imprévus... et Anijo a le don de relancer les commentaires !

De là, je vais m'assurer que Joe est le fils de Mélina Mercouri. Mais non ! Il est celui de Béatrice Launer, hongroise, violoniste virtuose dont le cinéaste a divorcé pour se remarier quelques années plus tard avec Mélina Mercouri. (ça fait gazette people, mais bon, on s'en fout, hein ?). Je me dis que, oui, ce serait bien d'envoyer à Anijo Mélina chantant  Théodorakis. Je l'entends chanter ...  non, pas celle-là, non, pas celle-là non plus. Et puis là,  Zorba.  Mais bon dieu,  Zorba ! C'est bien sûr ! Zorba, ce film de 64 !  Je me souviens seulement d'Anthony Queen et  de sa danse du sirtaki sur la plage. Ça tombe bien ! Anijo appréciera-t-elle ? Oui, ans doute,  au nom de la vague parenté avec son Joe Darling !




Bonne journée Anijo ! Pour l'instant tu dors paisiblement. A qui rêves-tu donc ?

mardi 15 février 2011

Zazzo

Lawrence Zazzo, contre-tenor américain, joue le rôle de César dans l'un des plus populaires opéras de Haendel , Jules César, ce compositeur allemand, devenu anglais d'adoption. J'ai assisté à ce très beau spectacle il y a deux semaines, et j'en suis sortie ravie! Les arias de César, de Cornélia et de Cléopâtre me trottent encore dans la tête.

Inutile de saluer l'époustouflante performance de Natalie Dessay, tout le monde à tout dit. Ni  l'ingénieuse mise en scène de Pelly où, comme l'a dit un critique "il se passe toujours quelque chose sur la scène." N'ajoutons pas non plus l'étrange sensation que nous avons eue, nous spectateurs, de voir des Égyptiens (haendéliens, certes) se révolter contre la politique conquérante de César, alors que d'autres Égyptiens (des vrais, ceux-là) occupaient la place Tahrir du Caire et s'apprêtaient à se battre pour chasser Moubarak...

Non, je voudrais parler d'un des deux contre-ténors, Zazzo en particulier, même si le Français Christophe Dumaux, mérite aussi un billet!

Zazzo, c'est une très belle voix, riche, moelleuse et  travaillée, même si la direction musicale d'Emmanuelle Haïm ( que l'on encense partout! Pourquoi? Parce que c'est une femme?) ne l'a pas toujours bien servi, surtout dans le premier acte: elle semble allergique aux  liaisons entre les airs, son jeu un peu monotone manque de contrastes,  -c'est souvent très "frappé sec"- et l'orchestre sonnait trop pointu parfois.

Au premier acte, j'attendais le premier grand aria de César: Empio, diro, tu sei . Ma première impression a été la déception: j'avais entendu pendant plusieurs semaines l'enregistrement de cet opéra par Les Musiciens de Louvre dirigés par Marc Minkowski. César était interprété par la contralto Marijana Mijanovic: je trouvais le timbre de sa voix plus crépusculaire, plus viril, si je peux oser le mot. Je me suis demandée si Zazzo qui a des aigus puissants, profonds et sonores, n'avait pas une petite faiblesse dans les graves?

 (La vidéo est un peu longue: l'aria commence à la 3.30ème minute
C'est un extrait de l'opéra dirigé par E. Haïm et mis en scène par L. Pelly)
Le premier acte passé, j'ai trouvé que Zazzo s'imposait mais il me reste l'impression que ce héros lui va mal, et que sa voix pour aussi belle et musicale qu'elle est, ne convient pas vraiment au rôle...

Depuis, et pour préparer cette note j'ai écouté cet aria, interprété par plusieurs contre-ténors, contraltos. J'ai même découvert une bizarrerie. Le grand baryton Fischer Dieskau a prêté sa voix à César, -comme d'autres- ce qui suffit à montrer que pour des maisons d'opéras, Haendel représentait  un compositeur à part, mystérieux .

Ces choix paraissent aujourd'hui étranges, quand on sait que lors de la première représentation à Londres c'est le castrat Senesino (contralto) qui jouait le rôle titre. Les voix "basses" étaient réservées, dans les opéras baroques, aux serviteurs ou aux personnages de second plan.

Impossible toutefois de parler de César sans SA Cléopâtre. Elle, elle était comme un poisson dans l'eau.

dimanche 13 février 2011

Zatopek

C'est un personnage de mon enfance,  même si je ne l'ai jamais vu courir "en direct". J'en ai beaucoup entendu parler, ainsi que de Mimoun. Ces deux noms me faisaient rêver. Je n'étais pas la seule!
Cette après-midi, dans une douce torpeur  et un certain bonheur de me savoir en vacances,  tandis que Rinaldo et Almirène chantent la musique d' Haendel que je ne cesse d'écouter en ce moment,  je me laisse glisser dans le très beau livre de Jean Echenoz Courir qui met en mots cette légende sportive que fut "La Locomotive"

Un soleil printanier vif et doux baigne de lumière cet appartement que j'aime tant et petit à petit,  je me mets  dans la foulée de ce grand échalas humble, gauche, grand champion à son insu. Un coureur dont le style est... de ne pas en avoir!
"Il y a des coureurs qui ont l'air de voler, d'autres qui ont l'air de danser, d'autres paraissent défiler, certains semblent avancer comme assis sur leurs jambes. Il y en a qui ont juste l'air d'aller le plus vite possible où on vient de les appeler. Emile, rien de tout cela.
Emile, on dirait qu'il creuse ou qu'il se creuse, comme en transe ou comme un terrassier. Loin des canons académiques et de tout souci d'élégance, Emile progresse de façon lourde, heurtée, torturée, tout en à-coups. Il ne cache pas la violence de son effort qui se lit sur son visage crispé, tétanisé, grimaçant, continûment tordu par un rictus pénible à voir."


Le rythme ce de livre est impressionnant. Je cours  le 5000m, le 10000m, le marathon, je remporte avec lui les trois médailles d'or aux JO d'Helsinki . Comment  fait Echenoz pour avoir  cette efficacité? Un style saccadé? Hypnotique? Un point de vue narratif qui sous des airs de témoin, se place résolument dans la tête de celui qui ne fait "Jamais, jamais rien comme les autres, même si c'est un type comme tout le monde"? Je ne sais mais c'est magique.

Et puis page après page,  alors que la joie de lire est déjà à son comble, je découvre qu'Echenoz a ressenti cette même impression que j'avais gamine, quand on disait "Zatopek". Il le dit tout juste comme je me le suis toujours dit, sans jamais trouver les mots qui convenaient.

" Ce nom de Zatopek qui n’était rien, qui n’était rien qu’un drôle de nom, se met à claquer universellement en trois syllabes mobiles et mécaniques, valse impitoyable à trois temps, bruit de galop, vrombissement de turbine, cliquetis de bielles ou de soupapes scandé par le k final, précédé par le z initial qui va déjà très vite : on fait zzz et ça va tout de suite vite, comme si cette consonne était un starter. Sans compter que cette machine est lubrifiée par un prénom fluide : la burette d’huile Emile est fournie avec le moteur Zatopek.
C’en serait même presque injuste : il y a eu d’autres grands artistes dans l’histoire de la course à pied. S’ils n’ont pas eu la même postérité, ne serait-ce pas que chaque fois leur nom tombait moins bien, n’était pas fait pour ça, ne collait pas aussi étroitement que celui d’Emile avec cette discipline – sauf peut-être Mimoun dont le patronyme sonne, lui, comme souffle un des noms du vent. Résultat, on les a oubliés, ce n’est pas plus compliqué, tant pis pour eux."

Je ferme le livre. Je cours avec lui encore, une dernière fois,  derrière la benne du camion poubelle,   sous  les applaudissements de tous les Pragois:  le gouvernement , après l'avoir expédié dans les mines d'uranium de  Jachymov pour propos séditieux (l'appel au boycott de l'URSS aux JO de Mexico sur la place Venceslas au printemps 68) l'a "promu" en le faisant éboueur: ses collègues refusent qu'il ramasse les ordures.

Il ne restait plus qu'à faire rentrer ce grand monsieur, dans ce petit abécédaire....

Courir, Jean Echenoz, Editions de minuit, 2008

samedi 12 février 2011

Enigme

Voici quatre cartes d'identité qui présentent quatre héroïnes romanesques de la littérature française. A vous de retrouver pour chaque carte les noms et les prénoms de chacune d'entre elles.

CARTE D’IDENTITÉ numéro 1
Préfecture de la Seine Maritime

Nom :
Prénom : 
Situation de famille : mariée
Enfant à charge : 1
Signes particuliers : cheveux noirs et abondants
Caractère : rêveuse, sentimentaliste
Ambition : vivre une vie plus exaltante
Profession du père : cultivateur

Père « spirituel » : Lycéen à Corneille. Etudes de droit qui le mettent « dans un état de castration morale difficile à concevoir.» Epileptique .Réfractaire au mariage.
Une maîtresse, poétesse, avec laquelle il entretient des relations charnelles et épistolaires pendant une dizaine d’années

CARTE D’IDENTITÉ numéro 2
Préfecture de la Seine et Marne

Nom :
Prénom :
Âge : 19 ans
Situation de famille : mariée à Jacques,  maîtresse de François
Enfant à charge : 1
Epoque : la guerre 14-18
Signes particuliers : regrette son mariage. Vit  librement ses envies
Caractère : franche, assez peu préoccupée du qu’en-dira-t-on, entière.

Père « spirituel » : Arrête ses études à 15 ans. Son livre déclenche un scandale. Ami de Cocteau, de Darius Milhaud, de Juan Gris et de Picasso.  S’est défendu d’avoir raconté sa vie dans le roman dont il est question mais ….
CARTE D’IDENTITÉ numéro 3


Nom :
Prénom :
Âge : 15 ans
Prénom du père : Toussaint
Prénom de la mère : Constance
Signes particuliers : fluette- cheveux roux
Caractère : courageuse, fidèle

Père « spirituel » : Parisien. Fils d’un ingénieur qui obtient un contrat d’adduction de l’eau potable de la Ste Victoire jusqu’à Aix-en-Provence.
François Bégaudeau déclare à son propos :« Aurait eu l’air malin si D. avait été coupable »
CARTE D’IDENTITÉ numéro 4


 Prénom :
Âge : jeune femme belle et souriante
Signe particulier:Un beau morceau ! 
Aime : les fleurs  et patiner
Déteste : le travail, l’ennui, le mariage, les nénuphars
Animal totem : une souris

 Père « spirituel » : Parisien, ingénieur, traducteur d'un des plus grands écrivains américains de romans noirs. Spécialiste du jazz. Oeuvres souvent censurées. Souffre de la maladie de Bouillaud. Meurt jeune.


Vous enverrez vos réponses par mail à xtinemer@gmail.com. Vous avez jusqu'au lundi 13 février 20 heures.
Bonne chance et amusez-vous bien!

RÉPONSE
1. Emma Bovary, Madame Bovary, Flaubert, 1857
2. Marthe Lacombe née Grangier, Le Diable au corps, R. Radiguet, 1923
3.Catherine Maheu, Germinal; E. Zola, 1885
4. Chloé, L'Ecume des jours, B. Vian,  1947

Les brillants gagnants sont Catherine et Pierre, talonnés par Chri, Calyste et Flocon qui ont donné 3 titres sur 4.

Enfin, je salue Paul, mon plus jeune commentateur (14 ans) qui a trouvé Emma Bovary et Zola!

mercredi 9 février 2011

Zambinella (2)

"En achevant cette histoire, assez connue en Italie, je puis vous donner une haute idée des progrès faits par la civilisation actuelle. On n'y fait plus de ces malheureuses créatures." Voilà une des dernières phrases de Sarrasine. Balzac feint ironiquement la disparition des castrats, alors que le dernier d'entre eux, Alessandro Moreschi, vivait encore au début du XXème siècle. Il existe  des enregistrements de sa voix.


La grande époque des castrats fut  le XVIIIème; le plus célèbre  d'entre eux est Farinelli. Ces castrats jouaient plutôt des premiers rôles masculins . Or, dans la nouvelle, Zambinella ne joue que des rôles de femmes (sauf chez l'ambassadeur). Ce n'est sûrement pas un hasard.

Cet être, dont le narrateur ne nous dit jamais qu'il est "castrat" ni sopraniste", semble réaliser l'idéal androgyne platonicien: Zambinella a deux visages: l'un féminin -la statue de marbre au musée Albani, l'autre masculin- l'Adonis peint par Vien, l'ami de Sarrazine  et commandé par les Lanty. 
Dans l'histoire aussi, Zambinella a la double identité femme/homme: femme quand il est la  chanteuse aimée de Sarrasine, homme lors de la réception de l'ambassadeur et surtout pendant le bal chez les Lanty,  où, devenu centenaire, il affiche l'image  spectrale et répugnante  de sa beauté passée. Ainsi Zambinella apparaît davantage comme une image plutôt que comme un être de chair. Sarrasine tombe amoureux du son de sa voix et de son image,  sa beauté ne survit que par la double image de la statue et du tableau, et c'est son image hideuse qui glace d'effroi les dames du bal chez les Lanty. Enfin parce qu'il est homme et femme par sa constitution physique et sa représentation artistique, il ne peut affectivement être ni homme ni femme.
 Il a été réduit à un objet d'art et de jouissance, ne peut aimer ni être aimé. Il semble le produit d'un société qui l'a engendré pour son plaisir.

On aura compris que cette nouvelle est particulièrement sombre...

lundi 7 février 2011

Zerbinette


Elle est un des personnages de Molière, l’Egyptienne qu’aime secrètement Léandre dans Les Fourberies de Scapin. Mais si gaie, si comique soit-elle, ce n’est pas de cette Zerbinette-là dont il va être question ici.

Celle qui m’a enchantée, en décembre dernier, à Bastille, est la Zerbinette de Richard Strauss dans son opéra Ariane à Naxos joué pour la première fois dans cette version, à Vienne en 1916. C’est un opéra qui mélange tragédie classique (l’abandon d’Ariane sur l’île de Naxos par Thésée) et la Comedia dell’arte (on retrouve les personnages de Zerbinette et d’Arlequin).


Dans cette œuvre, tout change ou doit changer : le Compositeur d’abord . Il pensait donner ce soir-là un opéra tragique mais il doit, au dernier moment et sur la volonté capricieuse du mécène qui lui permet de jouer dans sa riche demeure, « écourter » son œuvre, supprimer des arias, et intégrer la comédie qui devait succéder à son opéra. Le Compositeur finit par accepter et de cet étrange mélange naîtra une partition en un acte, pas comme les autres, qui brouille les genres : parodie d’opéra seria, opéra bouffe, théâtralisation. Ariane ensuite. Elle doit changer car pour survivre au chagrin de l’abandon, il faut changer. Et cette nécessité de changement est portée par la voix de Zerbinette : les hommes sont infidèles par nature, la meilleure façon de soigner le chagrin est de trouver un nouvel amour. La musique de Strauss, enfin : elle change, suit les métamorphoses des personnages et l’orchestre réduit à un peu moins de 40 instruments sonne et chante comme s’il y en avait cent!

C’est Jane Archibald qui incarnait Zerbinette. Elle m’a conquise, sans doute parce que sa voix traduit la vivacité, la vitalité et la profonde légèreté de ce personnage qui, généreusement et naturellement, aide à accomplir la métamorphose. Vous pouvez consulter  un compte rendu intéressant et des photos de ce spectacle  ICI , un blog musical passionnant.

samedi 5 février 2011

Zan (Bout de)

Cette expression désigne dans certaines familles un enfant de petite taille et au teint hâlé, qui rappelle la couleur de la réglisse.

C'est aussi le titre d'une série de courts métrages (une dizaine de minutes) muets tournés  par Louis Feuillade de 1912 à 1916 qui remportèrent un succès considérable: Louis Feuillade, originaire de Lunel , fut directeur artistique de la cinématographie Gaumont: il eut l'idée de tourner à la chaîne les aventures d'un gamin terrible, Bout de Zan, avant la Grande Guerre , dans les studios Elgé de la firme, près des Buttes Chaumont.


Louis Feuillade, après ces courts métrages s'illustra avec la fameuse série des Fantômas  dès 1913, puis Judex et Les Vampires. Alain Resnais a dit de lui : "Il est un de mes dieux". 

Dans les films de Louis Feuillade, se cachent, derrière la réalité quotidienne, le merveilleux, l'onirique et le fantastique: il rend crédibles des personnages invraisemblables et des situations délirantes. Alain Resnais  toujours lui, déclare encore dans  le livre de F. Lacassin, Louis Feuillade, Maître des lions et des Vampires, Bordas, 1995:

"J'admire chez Feuillade cet instinct poétique prodigieux qui lui permettait de faire du surréalisme comme on respire. C'est à son flair dans l'agencement " machine à coudre et parapluie sur une table de dissection " que nous devons d'extraordinaires séquences. Dans " Fantômas ", la fusillade au milieu des tonneaux est aussi belle que la lutte avec le boa. Le jardin rempli de folles de " Tih-Minh ", est aussi inoubliable que le salon de la pension de famille, lorsque le Grand-Vampire raconte l'histoire de son grand-père ou que l'installation du canon par un ecclésiastique dans une chambre d'hôtel. Et toutes ces images de rues, de routes désertes traversées de mystérieuses voitures, ces parcs avec leurs grilles, ces façades d'hôtels particuliers...."

Tombée dans l'oubli, malgré les Surréalistes qui avaient pour lui la plus grande admiration, son oeuvre fut réhabilitée, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, par Henri Langlois, lors de la fondation de la Cinémathèque française et la série complète des Fantômas est sortie en  DVD, en 2000.

mercredi 2 février 2011

Zola

Zola, ce sont mes lectures de jeune adolescente. Je me rappelle parfaitement les circonstances qui m'ont amenée à lire Les Rougon-Macquart.  J'ai eu une "passeuse": en classe de 3ème est arrivée dans mon lycée de province de Normandie  une fille du Sud, originaire de Montpellier. Elle nous fascinait toutes et tous: c'était une originale, avec un accent qui nous touchait, une fille très décontractée et très brillante. Elle lisait Zola et nous nous y sommes tous mis!

J'ai donc commencé par le onzième roman de cette épopée naturaliste Au bonheur des dames: grand souvenir! Je pleurais toutes les larmes de mon corps: j'étais Denise (même si le nom me semblait d'une ringardise incommensurable). J'étais cette midinette qui tombait amoureuse du beau et dédaigneux Octave Mouret. J'ai enchaîné avec Germinal, L'Assommoir, La Bête humaine, La faute de l'abbé Mouret... J'étais loin d'avoir tout dévoré, comme le fit un garçon de la classe , mordu (inutile de me demander de qui?) et que j'aimais secrètement comme on peut aimer à cet âge! Joie et chagrin.

Les années ont passé. En prépa, j'ai étudié Hugo, Balzac, Stendhal, Gide, Aragon et bien d'autres: à la fac, Robbe- Grillet, Beckett, Duras, Sarraute... Mais de Zola point ! Il n'était pas trop à la mode dans les universités françaises et je crois me souvenir qu'il avait  fallu attendre plus de 50 ans après sa mort pour voir cet auteur intégrer le programme de l'agrégation de Lettres modernes...

J'ai oublié Zola, même si ces lectures peuvent expliquer en partie mon engagement militant qui s'est limité je l'avoue aux quatre premières années de ma vingtaine! Il reste toujours quelque chose de nos lectures, que nous avons oubliées bien sûr mais qui nous ont quoiqu'on en dise forgé(e)s.

Ce n'est que récemment que j'ai redécouvert cet écrivain auquel Henri Mitterrand a consacré sa vie! Au collège, où j'ai étudié avec des élèves de troisième Germinal (collections Les Classiques abrégés de l'Ecole des loisirs), édition "allégée" (et très bien faite). C'est passé, malgré toutes mes hésitations! Zola me semble plus indigeste aujourd'hui!
J'ai eu l'occasion il n'y a pas si longtemps que cela de relire La Bête humaine, qui posa beaucoup de problèmes d'architecture narrative à Zola: c'est le 17ème roman, Zola voulait faire un roman sur le monde judiciaire. Mais il lui reste  le roman sur le capitalisme, celui sur la guerre et celui sur la science, et il ne veut pas dépasser vingt volumes pour le cycle. A ces difficultés professionnelles s'ajoute la crise de la cinquantaine à laquelle s'ajoute une sorte de gêne: lui qui a consacré sa vie à la littérature est tombé amoureux depuis peu de Jeanne Rozerot. Arraché à son équilibre de bourgeois laborieux, contraint au mensonge pour préserver un adultère qui est plus qu'un coup de folie, il éprouve des difficultés de composition et tombe dans une certaine lassitude.
C'est la publication en feuilletons dans La Vie populaire qui va le motiver( peut-être que dans certains passages, on décèle un goût  très prononcé pour le sang, propre à ce type de publication) et il achève en janvier 1890 ce roman qui lui aura posé beaucoup de difficultés.

J'ai beaucoup de tendresse pour ce roman très noir, peut-être parce que tout se passe sur la ligne Paris-Le Havre. Enfin, le tunnel de Malaunay  qui joue un rôle important dans l'action  symbolise un "lieu" souterrain, où se terre l'Homme des cavernes resté dans l'Homme du 19ème siècle, et au-delà du temps, ce qu'il reste en nous de nos ancêtres lointains.
Lettre autographe de Zola sur La Bête humaine